François SCHUITEN : Bâtisseur de mondes

L'imaginaire d'un bâtisseur

D'hier à aujourd'hui, du réel à l'imaginaire, des stars d'Hollywood aux peurs de la Guerre Froide, des secrets des livres aux rêves d'inventeurs fous, Schuiten a contruit une oeuvre d'une grande constance, tel l'architecte génial et passionné qu'il est.
Tout son travail est un hymne grandiose, poétique et démesuré aux bâtisseurs. Chez lui le construit, la pierre qui s'érige et conquiert le ciel est un personnage à part entière, une entité qui prend vie et rythme l'existence des hommes.
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A l'image de nos cités

Ainsi, pour François Schuiten,le design architectural est, à chaque album, à chaque oeuvre, un élément essentiel d'une création où l'homme se glisse entre les murs et adapte sa façon de penser à celle de ceux qui ont érigé la cité, tendant ainsi à prouver que notre conception du monde est directement influencée par les buildings qui nous entourent et l'organisation des villes où nous installons nos rêves, retrouvant ainsi les discours des grands architectes du XXe siècle, du Corbusier à Niemeyer, en passant par Gaudi et Wright.

Rêver en Technicolor

Mais Schuiten n'est pas seulement l'architecte en chef de la bande dessinée, c'est également un bédéiste fortement influencé par le 7ème art. Pour s'en convaincre, il suffit de voir les cadrages de ses dessins, son sens de la profondeur de champ, la force de ses perspectives et l'élan, presque animé, qui habite le moindre des objets qu'il met en scène. Et cette science, qui est la sienne, et qui lui permet de donner vie à une pile de livres où de transcender un mythe comme Icare, est également celle qui animait King Vidor ou Victor Fleming dans les années 40, arpentant les premiers les espaces du cinémascope nouvellement inventé.

Au coeur des années 50

Car c'est bien dans cet esprit que s'exprime Schuiten, quand il revisite le charme suranné de ces années de reconstruction, après l'horreur, où tout redevenait possible, où le monde replongeait dans une certaine innocence, seulement nuancée par les lointains sousbressauts de la Guerre Froide. Dans cette expression classique et très raffinée, il rejoint presque les publicistes célèbres des Années Folles, comme Mucha ou Steinlen, mettant en perspective la beauté des êtres humains et la magnificence des décors qui les entourent.

Clin d'oeil à Orwell

Enfin, dans ces mêmes années de l'après-guerre, il n'hésite pas à glisser quelques clins d'oeil à la science-fiction. Et dans l'élaboration technique de la science qu'il met en images, il rend un hommage aussi appuyé que justifié au grand Orwell. Entre menace venant du ciel et peur d'un voisin que l'on soupçonne de fomenter l'impensable, Schuiten retrouve les créneaux du danger quotidien, si proche et si impalpable.

La peur au coeur du rêve

Au final, entre rêve d'un avenir qui s'annonce radieux, empli de découvertes toutes plus excitantes les unes que les autres, et peur de ce qui peut malgré tout venir contrarier le déroulement du bonheur promis, Schuiten s'approche de notre monde et pointe au fil de ses dessins les grandeurs et les faiblesses de nos constructions, sublimes, fragiles, dont nous sommes si dépendants...

© Textes & Photos: Natacha PELLETIER pour PASSION ESTAMPES